INVITE DU MOIS
Nous avons l’honneur d’inviter dans ce numéro, le Professeur Babacar Kanté, Doyen honoraire de l’UFR des Sciences Juridiques et Politiques (SJP) par ailleurs 1er Directeur de ladite UFR.
1/ Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Professeur Agrégé de Droit Public et de Science Politique, Doyen honoraire de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
2/ Pouvez-vous revenir sur votre parcours intellectuel et universitaire ?
Après une maîtrise et deux DEA obtenus à l’Université de Dakar, j’ai été recruté comme Assistant à l’Université de Dakar puis assistant associé par l’Université d’Orléans en France où j’ai soutenu une thèse de doctorat d’Etat en Droit Administratif. De retour au Sénégal, j’ai été nommé Maître Assistant associé à l’Université de Dakar et élu Président du Département de droit public. Après mon Agrégation, je suis passé Maître de conférences .Cinq ans plus tard, j’ai été nommé Directeur de l’UER des Sciences juridiques de l’Université de Saint-Louis nouvellement créée.
A côté de mes activités académiques d’enseignement et de recherche, j’appartiens à un certain nombre d’Associations et d’Organismes à but scientifique. J’ai, à ce titre, mené des travaux d’expertise pour le compte d’un certain nombre d’organisations internationales et non gouvernementales.
J’ai aussi exercé des fonctions à l’échelle nationale, notamment comme membre de l’Observatoire national des élections et Vice-président du Conseil constitutionnel.
3/ Quelle a été la clé de ce parcours universitaire et professionnel ?
Tout d’abord, j’ai eu la chance, très tôt, de trouver sur mon chemin des hommes et des femmes aux qualités intellectuelles et humaines exceptionnelles, qui ont eu la générosité de me faire profiter de leur expérience. Je pense aux Professeurs qui m’ont initié au Droit, ont encadré mes travaux et m’ont préparé au Concours d’Agrégation.
Ensuite, j’ai aussi eu la chance, dans l’exercice de mes fonctions administratives, d’avoir fait de belles rencontres et d’avoir été entouré de collègues et de collaborateurs, dont le soutien ne m’a jamais fait défaut.
C’est, pour moi, l’occasion de rendre un hommage mérité à mes Maîtres, à mes collègues de Dakar et de Saint-Louis de même qu’au personnel administratif technique et de service de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger.
4/ Qu’est-ce qui a motivé votre venue à l’UGB en 1990 ?
C’est avec une très grande surprise que j’ai appris, en même temps que tout le monde, à travers la presse, ma nomination en qualité de Directeur de l’UER des Sciences juridiques de l’Université de Saint-Louis.
Ma première réaction a été de refuser cette nomination qui est intervenue sans consultation, et à un moment où j’avais un autre projet de vie et professionnel.
Mais, avec l’insistance d’un certain nombre de personnalités, dont le Doyen de la Faculté de Droit de Dakar, le Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Ministre de l’Enseignement supérieur et du Recteur Ahmadou Lamine Ndiaye, j’ai fini par accepter.
L’argument déterminant, qui m’a fait céder, était que la création de cette deuxième université publique du Sénégal était une occasion donnée aux cadres sénégalais que nous étions de rénover l’Enseignement Supérieur au Sénégal. J’ai finalement été séduit par ce défi.
5/ Vous avez eu à enseigner et encadrer plusieurs générations d’étudiants à l’UGB, devenus de hauts cadres ici et ailleurs. Pouvez-vous revenir sur la qualité du projet pédagogique mis en place à l’UFR des Sciences Juridiques et Politiques de l’UGB ?
L’ouverture de l’Université de Saint-Louis était perçue par l’opinion publique, et même par les autorités politiques, comme ayant pour principal objectif de désengorger l’Université de Dakar. Mais les pionniers que nous étions avaient décidé de saisir cette occasion pour introduire des innovations dans l’organisation et le fonctionnement de l’Enseignement Supérieur au Sénégal.
La spécificité du projet pédagogique de l’UFR des Sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger tient essentiellement au fait qu’il a su anticiper sur les réformes annoncées plus tard, à l’occasion des concertations consacrées à l’Enseignement Supérieur au Sénégal et ailleurs, mais aussi sur l’évolution politique, économique, sociale et culturelle de notre pays..
Nous avions ainsi mis l’accent sur la spécialisation et la professionnalisation dans trois domaines porteurs d’espoir d’emplois pour les étudiants, que sont : la gestion des Collectivités locales, le droit de l’entreprise et la science politique.
En ce qui concerne la spécialisation, le Sénégal n’avait pas encore atteint son niveau actuel d’approfondissement de la décentralisation. En droit public, nous avions cependant senti la nécessité, en 1990 déjà, de privilégier cette option par rapport à celle donnant la priorité à l’administration centrale. La vision de l’UFR a consisté à faire le pari du développement local.
De même, en droit privé, l’option droit de l’entreprise prenait en compte les effets de la politique de désengagement de l’Etat et de privatisation du secteur économique. Nous avions tiré les conséquences de cette nouvelle politique d’ajustement structurel tendant à faire de l’entreprise, et non plus de l’administration, le moteur du développement, selon le nouveau slogan des autorités sénégalaises. Nous avons ainsi ciblé l’entreprise au détriment du droit des affaires et du droit judiciaire.
Enfin, l’expérience démocratique sénégalaise est souvent citée en exemple, mais il n’existait encore dans le pays aucun établissement offrant une formation diplômante en science politique. Nous avons alors pensé qu’il fallait combler cette lacune en accompagnant l’évolution politique en cours au Sénégal depuis longtemps, mais aussi l’ouverture de la transition démocratique initiée dans d’autres pays africains seulement à partir de 1990, par une filière de formation et de recherche dans ce domaine.
Quant à la professionnalisation, l’UFR a essayé de la garantir en s’ouvrant vers et à l’extérieur. Des disciplines peu habituelles dans les facultés de droit classiques ont été introduites dans le cursus, en même temps qu’une nouvelle approche pédagogique. Je constate d’ailleurs, pour m’en réjouir, qu’en 1993, à l’occasion de la soumission des diplômes d’Etudes universitaires générales délivrés par l’UGB à la reconnaissance du CAMES, il nous avait été reproché d’avoir des filières professionnelles ; ce qui n’était pas la vocation de l’Université. Notre tort était, peut-être, d’avoir eu raison trop tôt.
6/ Pourtant, certains commencent à dire que l’excellence de l’UGB a migré vers d’autres horizons. Est-ce votre opinion ?
L’excellence, dans l’esprit des pionniers de l’Université Gaston Berger, était une aspiration. Cette ambition, à mon avis, est encore largement partagée par les trois composantes de la communauté universitaire de Saint-Louis.
Il reste que, de moins de mille étudiants répartis entre quatre UER à son ouverture en 1990, l’UGB est passée à plus de dix mille étudiants inscrits dans près d’une dizaine d’établissements aujourd’hui. Il est normal qu’elle connaisse une crise de croissance pour cause de succès.
Mais, objectivement, l’UGB reste une Université dont les membres devraient être fiers. Il ne faut pas, en effet, oublier que nos enseignants et nos étudiants nous donnent régulièrement satisfaction dans leur participation à des compétitions nationales et internationales de très haut niveau.
Certains de nos collègues font autorité encore aujourd’hui à travers leurs publications. D’autres ont été majors de leur concours d’Agrégation, et les résultats de certaines UFR aux Comités Techniques Spécialisés du CAMES atteignent régulièrement les 100%.
Quant à nos étudiants, en Sciences Juridiques et Politiques par exemple, ils occupent régulièrement les premières places dans les concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration et au Centre de formation judiciaire. Ils ont également remporté à trois reprises le concours de plaidoirie qui oppose, à l’échelle africaine, plus d’une cinquante d’Universités venant de tous les systèmes juridiques représentés sur le continent.
Dans le domaine du sport, nos étudiants ont plusieurs fois remporté des trophées, à titre individuel ou collectif.
De même, nos étudiants de l’UFR CRAC ont, à plusieurs reprises, été couronnés à travers leurs réalisations radiophoniques ou cinématographiques. Les étudiants de l’UFR LSH ne sont pas en reste.
L’UFR SAT a aussi, au terme d’une compétition extrêmement disputée, obtenu le siège, très convoité, d’un Centre d’Excellence en Informatique, financé par la Banque mondiale.
Personnellement, la crise de croissance de l’UGB n’est donc pas de nature à me faire oublier ces performances exceptionnelles.
7/ Quel message voudriez-vous lancer à la communauté universitaire de Saint-Louis ?
Mon message est un message de félicitations et d’encouragement. Nous avons relevé ensemble, chacun à sa place et avec les moyens à sa disposition, des défis énormes. J’invite chaque composante de la communauté universitaire de Saint-Louis à renforcer la solidarité entre ses membres d’abord et, ensuite, avec les autres composantes. C’est ce renforcement de la solidarité verticale dans les composantes et horizontale entre les composantes, qui nous permettra de consolider notre sentiment d’appartenance à une même communauté. J’y tiens beaucoup.
8/ Nous voici au terme de cet entretien. Quel serait votre mot de la fin ?
En ce début, d’année, je voudrais terminer cet entretien par des vœux. Je souhaite que nos étudiants cultivent et développent leur Alma mater. Pour ma part, je suis profondément attaché à l’UGB qui m’a beaucoup donné et à laquelle j’essaie d’être utile en retour. Je souhaite qu’il en soit de même pour nos étudiants. Je les exhorte non seulement à renforcer le réseau des anciens étudiants de l’UGB, mais aussi à essayer de lui rendre ce qu’elle leur a donné.