Nous avons l’honneur d’inviter dans ce numéro le Docteur Mouhamadou Moustapha LO, économiste spécialisé dans les questions de l’éducation pour la mission résidente de la Banque Mondiale à Dakar qui couvre plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Il est par ailleurs le responsable du suivi-évaluation des Centres d’Excellence de l’Afrique de l’Ouest et du Centre et il est, enfin, un alumni de l’UGB (promotion 2002).
DCM : Mouhamadou Moustapha LO, pouvez-vous vous présenter ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : Je suis économiste spécialisé dans les questions de l’éducation et de la formation professionnelle et technique. Je travaille, présentement, à la Banque Mondiale comme spécialiste de l’éducation pour la mission résidente de Dakar qui couvre outre le Sénégal, la Gambie, le Cap-Vert, la Guinée Bissau et la Mauritanie. Je suis également responsable régional du suivi-évaluation des Centres d’excellence de l’Afrique de l’Ouest et du Centre et un grand militant du panafricanisme.
DCM : Pouvez-vous revenir sur votre parcours intellectuel et universitaire ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : J’ai fait tout mon cursus scolaire à Kaolack jusqu’à l’obtention de mon Baccalauréat en Série S2 au lycée Valdiodio Ndiaye en 2002, avec la mention passable. Je n’étais pas un élève très brillant, mais je faisais beaucoup d’efforts pour avoir un cursus normal. Après l’obtention du Baccalauréat, j’ai été à la fois orienté en Sciences Physiques à l’UCAD et en Sciences économiques et de Gestion à l’UGB. J’ai confirmé l’offre de Saint-Louis. J’ai obtenu mon premier diplôme universitaire (DEUG) en 2004, avec la mention Bien. Ce fut la première fois de tout mon cursus primaire, secondaire et universitaire où j’ai été major de ma promotion. Cela m’a donné de la motivation et surtout la conviction que je peux réussir mais en travaillant dur et sérieusement. Ce fut comme un déclic pour moi. Après mon second cycle en Gestion d’Entreprise Agricole pour les ambitions que je nourrissais dans ce secteur, j’ai été sélectionné en Diplôme d’Etudes Approfondies (équivalent Master 2) d’Analyse économique et quantitative que j’ai obtenu avec la mention Bien.
Sur conseil de l’éminent Professeur Adama DIAW, j’ai rejoint le prestigieux Consortium pour la Recherche Economique et Sociale pour faire une thèse appliquée aux questions d’éducation et d’évaluation d’impact, sous la direction du Professeur Abdoulaye DIAGNE. J’ai fait l’une des premières thèses (je pense que c’est la première au Sénégal) sur les questions d’alimentation scolaire et leurs impacts réels sur la qualité de l’éducation à travers une expérimentation randomisée. La rareté des travaux expérimentaux sur l’éducation en Afrique justifiait aussi la thèse. Par ailleurs, je suis auteur d’un ouvrage sur l’économie de l’environnement intitulé : croissance économique et protection de l’environnement : entre l’économique et l’éthique.
Enfin, j’ai été un grand militant et fanatique du panafricanisme dont j’ai été le premier président de la section estudiantine de la Convergence Citoyenne pour le Panafricanisme qui a fusionné après avec d’autres mouvements pour devenir le Mouvement des Etudiants Panafricains de l’UGB (MEPUS) que j’avais eu l’honneur de co-présider. Nous avions à l’époque produit plusieurs diatribes et pamphlets sur ces questions. Mes références étaient Mamadou Dia pour le patriotisme constructif et Cheikh Anta Diop pour l’intégration africaine. La politique au sens constructif m’intéressait également. J’ai été pendant deux ans le Président de la section des étudiants du parti politique du Rassemblement pour le Peuple de Serigne Mamoune NIASSE. Donc, ma vie à l’université de Saint-Louis a été rythmée par mes études, ma foi et mes activités citoyennes.
DCM : Vous êtes au Département d’Education à la Banque Mondiale pour la mission résidente à Dakar. Rappelez-nous votre parcours professionnel avant d’arriver à ce poste.
Dr Mouhamadou Moustapha LO : Après l’obtention de mon DEA, et au nom de l’expérience, j’ai travaillé pendant 5 mois à Géoul (région de Louga) comme gérant de boulangerie où on me payait environ 85.000 FCFA/mois. J’ai obtenu par la suite un stage au Consortium pour la Recherche Economique et Sociale (CRES) en qualité d’assistant de recherche junior. Je me suis inscrit en thèse en même temps. J’ai fait 4 ans au CRES sans salaire, certes, mais avec des opportunités d’application pratique, d’apprentissage et de recherche inestimables.
Pendant que j’y étais aussi, je faisais parallèlement des activités de consultance. C’est ainsi que j’ai effectué des travaux de recherche pour une ONG française dénommée GRET. Cela m’a conduit dans plusieurs régions et villes du Sénégal. Je faisais des enquêtes, exploitaient les données et rédigeais des rapports pour l’ONG. La belle collaboration et l’appréciation de la qualité du travail effectué m’ont ouvert les portes d’un autre partenaire américain dans le domaine de l’agriculture qui travaillait, d’ailleurs, indirectement avec la Banque mondiale. J’ai travaillé avec eux pendant quelques mois à Kaffrine (Nganda) en qualité de consultant. Je suis rentré à Dakar pour finaliser et soutenir ma thèse en juillet 2013.
Après l’obtention de mon Doctorat, j’ai intensifié mes recherches d’emploi. Je répondais régulièrement aux offres et soumettais des candidatures spontanées à toutes les structures qui répondaient à mon profil. Entre août et septembre 2013, j’ai reçu deux offres toutes intéressantes : un poste de chercheur à l’International Food Policy Research Institute (IFPRI) et un poste d’enseignant-chercheur à l’université de Thiès plus précisément au Département d’Economie rurale de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agriculture de Thiès. J’ai choisi l’université de Thiès. Nonobstant la possibilité d’allier mes responsabilités à IFPRI et le poste de l’ENSA, j’ai décidé de me limiter à ce dernier.
Après quelques mois de service à Thiès, je suis parti à la Banque mondiale. Il faut dire que j’avais déjà fait deux entretiens : celui de la Banque mondiale et celui de l’université. L’offre de l’université fut la première à sortir.
DCM : Justement, vous avez été recruté en qualité d’enseignant-chercheur à l’Université de Thiès en 2013, avant de démissionner de ce poste pour rejoindre la Banque Mondiale dans la même année. Pourquoi ce choix ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : Mon recrutement à l’université de Thiès date de septembre 2013 et j’ai rejoint la Banque la même année, en Décembre 2013. En réalité, mon ambition a toujours été d’enseigner à l’université pour le prestige de la fonction et sa capacité à influencer positivement l’avenir de notre jeunesse et contribuer au développement de notre cher Sénégal. C’est pour cette raison que j’ai automatiquement décliné l’offre de la Banque mondiale quand j’ai reçu la notification. Je leur avais indiqué que j’ai finalement eu un poste à l’université et que j’étais plus intéressé. Toutefois, le responsable du Portefeuille Education de la Banque Mondiale à l’époque, Monsieur Atou Seck, me persuadait de rejoindre la BM. Mais pour moi, c’était le choix entre une belle carrière universitaire qui se présageait et une expérience dans une grande institution, certes, mais pour laquelle je ne savais pas d’où ça pouvait me mener et dans quel environnement de travail j’allais évoluer.
Il parait que dans cette compétition, je suis sorti en première position avec un chinois diplômé de Harvard University. Il était anglophone sans compétences linguistiques en français et moi, j’étais francophone avec quelques backgrounds en anglais. En fait, j’avais fait personnellement quelques cours d’anglais au British Council durant ma thèse pour pouvoir travailler avec les articles de ma thématique, mais il s’est avéré que cela allait me servir doublement ultérieurement. D’ailleurs, j’exhorte au passage les étudiants à donner une attention plus particulière à l’anglais qui est maintenant incontournable pour évoluer dans ce monde globalisé. C’est ainsi que j’ai atterri à la Banque mondiale. Je ne l’ai pas regretté aujourd’hui.
En définitive pour moi, deux facteurs ont significativement impacté ma vie professionnelle et ont ainsi pesé dans ma carrière actuelle : ma brillante formation à l’UGB et mon passage au CRES. A l’UGB, la qualité de la formation qu’on y a reçue nous prédisposait d’emblée à n’importe quelle situation de travail et même sous pression. Au CRES, j’ai eu l’opportunité de me familiariser avec les procédures et pratiques de plusieurs organisations internationales et acteurs institutionnels et rencontrer des chercheurs de renom. L’environnement de travail était adéquat.
DCM : Quelle a été la clé de votre réussite universitaire et professionnelle ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : Sur le plan universitaire, je suis entièrement reconnaissant de la chance d’avoir eu des enseignants modèles, engagés et plus préoccupés par notre réussite. C’est eux les vrais héros du Sénégal. Hormis cela le reste est le travail, le sérieux et la confiance en soi. Il importe de rappeler que j’avais d’emblée renoncé à toute possibilité de poursuivre des études à l’étranger. Un choix personnel que j’ai fait selon le principe qu’on peut bien réussir chez soi. L’Afrique n’est pas un creuset de misère même si des facteurs conjoncturels la place au rang des derniers. En outre, le respect de mes enseignants et la considération que je leur vouais sont des comportements déterminants pour tout apprenant. Sur le plan professionnel, je déposais tout et était prêt à tout essayer au nom de l’expérience professionnelle : enquête, stage de 4 ans sans salaire, vacation de longue durée sans me plaindre ni manifester mon indignation, gérant de boulangerie, etc. Ce sont, sans doute, ces expériences qui ont enrichi mon CV.
DCM : Vous êtes un spécialiste de l’éducation et sans conteste, Docteur Mouhamadou Moustapha LO, que nous sommes aujourd’hui à l’ère de l’économie du savoir. Quelle (s) appréciation faites-vous des réformes de l’enseignement supérieur au Sénégal ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : En redynamisant la participation du secteur privé, en réorientant le système vers les sciences et les métiers de l’avenir, en réformant les pratiques pédagogiques, en soutenant l’accès plus accru à l’enseignement supérieur et en installant une culture de gestion accès sur les résultats avec une responsabilisation des acteurs à tous les niveaux, j’ose penser que le Sénégal est sur une trajectoire très ambitieuse en ce qui concerne son système d’enseignement supérieur ; cela pour dire que les réformes me semblent opportunes, pertinentes et très stratégiques.
L’enseignement supérieur a changé de paradigme. On enseigne plus seulement pour former les cadres de l’administration, mais également pour satisfaire les besoins du marché du travail et de l’économie globale. L’université doit être dans les deux flancs. Avec la libéralisation et la dure compétition entre les nations le secteur privé est de plus en plus interpellé sur les aspirations économiques. Pour cela, il ne peut ignorer les choix opérés dans la formation de ses futurs employés.
Dans un autre registre, nous sommes dans un monde où le numérique prend de plus en plus de la place et devient même incontournable. En conséquence le rapport étudiant-professeur n’est plus unilatéral, mais plutôt interactif car l’étudiant ayant accès à internet et plusieurs autres ressources numériques ne découvre plus le savoir, mais s’interroge sur la manière de le manipuler pour résoudre des questions pratiques de son environnement immédiat. L’enseignant doit être préparé à cette situation. Malheureusement, certains enseignants sont dans les méthodes classiques voire dépassées et ne profitent pas assez des TIC. Voilà, entre autres, autant d’éléments qui me font croire que la poursuite des réformes entamés est bénéfique pour le système même si cela bousculent quelques acquis antérieurs qui ne sont plus à l’ordre du jour. Le défi n’est plus seulement dans l’acquisition encyclopédique du savoir, mais dans son maniement pour éclairer les choix et prises de décision.
DCM : Compte-tenu de votre statut d’expert en éducation, quelle(s) solution(s) préconisez-vous pour faire face à l’instabilité qui caractérise présentement le secteur ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : Je demande à tout un chacun de se poser régulièrement ces deux questions suivantes : si le système est détruit à qui cela nuit et à qui cela profite ? Si je n’avais pas été éduqué que serais-je devenu ? Ces interrogations en permanence permettront de réfléchir sur notre contribution personnelle à l’édifice qui est le Sénégal de demain et sur l’héritage qu’on souhaite léguer à nos enfants et petits-enfants. Abraham Lincoln disait : « Ne vous demandez pas toujours ce que votre pays peut faire pour vous, mais plutôt ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Il dit également : « Presque tous les hommes peuvent faire face à l'adversité ; mais si vous voulez tester la capacité de quelqu'un, donnez-lui le pouvoir.»
DCM : Vous êtes un produit/ou un alumni de l’UGB. Pouvez-vous revenir sur la qualité de la formation que vous y avez reçue ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : L’UGB est une référence en Afrique. Ses étudiants sont très appréciés partout où ils se trouvent dans le monde. Ils sont aussi dans toutes les institutions. Cela suffit pour juger la qualité de la formation. Par exemple, à la Banque Mondiale, il y a plusieurs « wasanarois » qu’on retrouve à tous les niveaux. La responsable des ressources humaines pour le bureau de Dakar est, d’ailleurs, un produit de l’UGB. A cela s’ajoute que l’un des Centres d’Excellence Africains est logé à l’UFR des Sciences Appliquées et de Technologies. Il s’agit du Centre d’Excellence Africain en Mathématique, Informatique et TIC (CEA MITIC). C’est l’un des meilleurs en Afrique actuellement.
DCM : Pourtant, certains commencent à dire que l’excellence de l’UGB a migré vers d’autres horizons. Est-ce votre opinion ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : Je ne suis pas du même avis. Même si je reconnais que quelques situations commencent à miner les atouts de notre grande université, les produits de l’UGB sont toujours compétitifs. L’excellence c’est d’abord un état mental avant d’être un résultat. Les étudiants de l’UGB ont toujours cet état d’esprit qu’ils sont les meilleurs. C’est quand nous perdrons cela que l’excellence migrera ailleurs.
DCM : Quel est le message que vous voudriez émettre pour vos jeunes frères et sœurs étudiants surtout au lendemain des événements douloureux du 15 mai 2018 ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : C’est vraiment regrettable à tout point de vue. Les étudiants de l’UGB sont connus pour leur sens de la citoyenneté, du respect des institutions et de la chose publique. Nous faisions comme tous les étudiants la grève mais avec la manière. Incendier, bruler, saccager notre propre patrimoine n’était pas la pratique au temps. On nous appelait d’ailleurs l’Université des Gros Bébés (UGB). Ce n’était pas de la passivité absolue, mais de l’activisme dans le respect de la déontologie. Je voudrais également marquer mon indignation contre les actes qui ont conduit à la mort d’un étudiant à l’UGB et d’autres antérieurement, comme à l’UCAD. C’est vrai qu’une masse est aveugle, mais les forces de l’ordre sont suffisamment bien préparées et formées pour gérer comme il le faut ces genres de situations qui ne sont pas bons, il faut dire, pour l’image du Sénégal et de son système éducatif qui est une référence en Afrique. Je souhaite que cela ne se reproduise plus jamais.
DCM : Docteur Mouhamadou Moustapha LO, nous voici au terme de cet entretien. Quel serait votre mot de la fin ?
Dr Mouhamadou Moustapha LO : Je voudrais vous remercier de m’avoir invité dans votre magazine mensuel UGB/Infos. Choix que je considère comme un encouragement pour toujours faire preuve d’abnégation et de persévérance. Le Sénégal est un pays qui a tous les avantages pour aller de l’avant. Ses jeunes, en particulier ses étudiants, sont très ambitieux. Donc il faut les appuyer pour qu’ils retrouvent leur chemin et leur offrir des opportunités meilleures (emploi, éducation, santé, etc.) pour concrétiser leurs ambitions.
Entretien réalisé par la Direction de la Communication et du Marketing/UGB